Labyrinthe by Burhan Sönmez

Labyrinthe by Burhan Sönmez

Auteur:Burhan Sönmez [Sönmez, Burhan]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2020-01-30T00:00:00+00:00


12

Hayala revient de la cuisine avec deux tasses de café. Elle s’assied à côté de moi sur le canapé. Ça va te remettre, dit-elle. Je bois une gorgée de café. La remercie. Tout l’alcool que j’ai bu, je ne m’étais pas rendu compte. J’avais l’impression d’écouter seulement, de regarder autour de moi, oubliant que je mangeais aussi, et buvais. Je croyais pouvoir rentrer chez moi tout seul. D’un coup, mes yeux se sont troublés. Tu as suivi Bek, sur la fin, dit Hayala. Tu enchaînais les verres au même rythme que lui. Comment tu te sens, maintenant ? Rentrer m’a fait du bien. Mes vertiges ont disparu. Peut-être que c’était à cause de tout ce monde que j’ai eu le tournis. C’est fatigant de parler avec autant de gens à la fois. Est-ce que j’étais déjà comme ça avant, enfin est-ce que je tombais de fatigue dès qu’il fallait regarder plusieurs visages à la fois, faire le lien entre eux et les voix qu’on entend, et enregistrer tous ces liens ? Non, Boratine, tu n’étais pas comme ça. Personne ne s’en est jamais plaint, pas à ma connaissance, du moins. Tu étais sociable, voire même extraverti. Mais, Hayala, je n’arrive pas à discuter avec plus d’une personne à la fois. Autrement, je m’épuise. Je sais bien que ceux qui étaient à notre table tout à l’heure sont mes amis et, pourtant, je ne crois pas que je pourrais encore les rencontrer tous ensemble. C’est au-dessus de mes forces. J’entends encore leurs voix résonner sous mon crâne. Et, même si je suis resté longtemps, ma seule envie, à chaque instant, était de me lever et de partir. C’est peut-être pour ça que j’ai bu trop de raki, sur la fin. Normalement, le soir, je suis seul chez moi, sortir n’est plus dans mes habitudes. Je me sens en sécurité dans ce salon, même si parfois je m’y ennuie un peu. Mais, quoi qu’il arrive, je préfère faire trois pas dans le couloir, aller et venir de la cuisine à ma chambre, plutôt que de traîner dehors. Aujourd’hui, en sortant, j’ai laissé la cuisine en désordre. Tu as trouvé le café sans problème ? Oui, Boratine. Rien n’a changé, ici. Tous ceux qui viennent te rendre visite trouvent chaque chose exactement à sa place. Tableaux, armoires, fauteuils, Dieu sait depuis combien de siècles tout ça n’a pas bougé d’un pouce. Les copains s’étaient moqués de toi, tu sais, le jour où tu avais repris cet appartement. Ils ont dit que ça te fichait cinquante ans d’un coup ! Et toi, tu leur as répondu : hé, les solfégeux, vous vous trompez, moi j’ai déjà cent ans ! Tu raffolais des vieilles guitares, des vieux livres, de tous les objets anciens. Ça n’a sans doute pas changé. Tu as perdu la mémoire, pas le goût de tes plaisirs. Je n’en sais rien, Hayala. Parfois ce canapé me plaît, parfois je le déteste. Je peux rester une journée entière allongé dessus, et ne pas oser l’effleurer de tout le jour suivant.



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